Groupe Logement

Bretagne : se loger ou habiter ?

On envisage parfois le problème de l’habitat sous l’angle du seul « logement ». On constate divers programmes pour financer « le logement social, des « aides à la pierre » pour l’immobilier, de multiples « plans d’investissement pour le logement », des lois pour le « droit au logement opposable » (2002, 2008, etc.).

En provenance d’une racine germanique (initialement un abri humble), le terme de logement prend au Moyen Âge un sens militaire (un « campement pour les troupes ») avant de connaître son acceptation actuelle.

Nous proposerons d’étendre cette acception au terme « d’habiter », plus poreux, qui illustre des formes de percolation avec « le cadre de vie » (G. Rougerie). L’étymologie du terme habitat vient « d’habitare » (vivre, tenir) avec nécessairement un lien renforcé avec l’espace externe parfois pour de simple raison de survie (les tenures). Avec Bourdieu ou Hélias, il est difficile de dissocier ce terme de « l’habitus » (le fait de se socialiser, de laisser une empreinte…) avec de fait la priorisation d’une approche envisageant le logement comme une brique (A.Moles) s’associant à différentes coquilles identitaires (la pièce ou « sa » chambre, le quartier, la ville, la région, le vaste monde…).

En Bretagne, cette exploration touche tout d’abord à l’individu et interroge sur une manière spécifique d’envisager la propriété (18 % de propriétaires de plus qu’en France, l’importance des jardins, le goût supérieur pour l’habitat individuel qu’on attribue parfois à l’héritage rural). L’acquisition d’un logement est-elle une prime à l’autarcie ou un biais pour mieux se socialiser (ancrage, échanges avec les voisins etc.) ? Comment l’accès au logement social peut-il concilier le respect de la vie privée à certaines dynamiques collectives ? Première question : quelle est la nature des porosités à privilégier (ou non) pour établir une forme de contrat spatial ? L’habitat individuel ou en hameaux (ils sont particulièrement nombreux en Bretagne) est-il périmé ou un gage de prospérité ?

Ce questionnement rejoint les questions de gouvernance avec aujourd’hui une prime à la ville compacte et aux logements collectifs. Sous quelles conditions créer de l’habitat collectif ? Quelles sont les initiatives en cours (écoquartiers, locaux ou habitats partagés etc.) qui renforcent leurs utilités ? Comment aussi résoudre l’enjeu de la valorisation de l’ancien (99 % du parc) alors que l’on est souvent focalisé sur le neuf ? Quelles sont les solutions (dans le centre des villes mais aussi en campagne) pour valoriser le patrimoine classé ou inscrit avec un concept de « sauvegarde » qui peine à trouver son équilibre économique ?

La translation du logement vers l’habitat ne passe-t-elle pas par certains programmes, notamment dans l’ancien, privilégiant l’approche d’un habitat économique ? Au-delà du seul fait de « se » loger, qu’en est-il des solutions innovantes permettant de créer des logements productifs, des habitats à énergie positive ? Dans le logement social, sous quelles conditions animer les « communs » (jardins partagés, locaux collectifs…) et valoriser les initiatives existantes ?

Ces dynamiques de solidarité peuvent-elles être compétitives (de la « fête des voisins » à la construction de coopératives de voisinage, le rôle fondamental du numérique pour animer le quartier, l’enjeu des échanges de services intergénérationnels etc.). Quels sont les garde-fous face à ces initiatives séduisantes mais qui font face à des évolutions parfois opposées (le rôle croissant des enclosures) voire créent des ségrégations à une autre échelle (les gated communities, les milices de quartier…) ?

Enfin, sous quelle condition le territoire, notamment en redécouvrant ses ressources, peut-il être à diverses échelles être un levier de ces nouvelles solidarités (construction à proximité du bourg pour le vitaliser, production d’énergie, aides fiscales, modification des règles d’urbanisme, co-financement participatif, gestion et jardin partagés, ré-enchantement du concept de « propriété », échanges ou prêts de foyers et de biens, partages d’objets etc.) ?

La région Bretagne a diverses particularités. Elle est la seule région ayant une structure régionale pour le logement social (l’A.R.O). On y constate la pluralité et un atomisme d’acteurs économiques bien plus nombreux et dispersés qu’ailleurs (pour des raisons géographiques, en raison de l’importance des PME-TPE par exemple dans le secteur du bâtiment). Est-ce un problème, est-ce une chance ? On y constate aussi la présence de singularités sociologiques (elle est avant dernière en France pour les cambriolages, première région pour le tri des déchets, se caractérise par un habitat plus dispersé…). On y constate l’importance supérieure du tissu associatif local, du bénévolat ou de l’économie sociale et solidaire, un enjeu plus fort lié au défi du vieillissement, notamment dans certaines zones rurales. L’isolement, une menace ? Un outil pour mieux vivre ensemble ? Comment favoriser les solidarités territoriales ? Comment, avec des expérimentations concrètes, retrouver le concept « d’homme habitant » (M. Le Lannou) pour incrémenter l’enjeu fondamental du logement par des perspectives enrichies ?

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