Article publié sur le site Ar C’hannad

Les fins d’année sont traditionnellement propices aux bilans en tout genre sur les douze mois qui s’achèvent, une manière de faire le point sur la différence entre les espérances du début et la réalité des faits, avant de se tourner résolument sur celle qui suivra. Difficile donc d’y couper, d’autant que pour la Bretagne, l’année 2014 aura été, sans aucun doute possible, riche en événements et enseignements en tout genre.

Une année pleine de promesses, entre la possibilité de voir émerger un nouveau mouvement citoyen, à l’image sans doute de Podemos en Espagne, mais également d’assister au début du redressement de l’économie bretonne, grâce en partie à un Pacte d’Avenir pour la région qui n’avait guère convaincu lors de la signature mais dont on aurait, malgré tout, pu espérer que l’Etat fasse ce qu’il faut pour qu’il produise rapidement des effets. Sur le plan géographique enfin, avec l’annonce dès le début de l’année d’une future réforme territoriale relançant l’espoir, pour les plus ardents défenseurs de la cause, de la réunification de la péninsule.
Au final pourtant, l’année aura été plus que décevante, à tous points de vue. Sur le plan économique avant tout, si le préfet de Bretagne se réjouissait récemment de la bonne avancée du Pacte d’Avenir, force est de constater que les effets se font attendre. Pire, ils n’ont pas été suffisants pour sauver Tilly Sabco ni Gad, tous deux passés par la case redressement judiciaire, avec plusieurs dizaines d’emplois perdus à la clé, une fois de plus, dans un agroalimentaire breton qui vit décidément une période difficile.
Plus largement, l’agriculture a particulièrement souffert cette année et peu de secteurs ont été épargnés. Volaillers, éleveurs de porcs, maraîchers, tous ont souffert à des degrés divers en 2014, et plus particulièrement les derniers cités qui ont subit une véritable dégringolade des prix. La situation ne devrait pas s’arranger pour l’année qui vient, avec cette fois les laitiers possiblement dans la tourmente, du fait de la fin des quotas laitiers européens en avril prochain, qui pourraient, là encore, faire chuter les prix.
Certes les nouvelles ne sont pas toutes mauvaises. Le développement d’un futur pôle défense numérique en Bretagne, le développement des start-up plus largement, la bonne santé des chantiers de Saint-Nazaire également, malgré la crise liée aux Mistral russes, ainsi que la volonté d’aller plus avant dans le développement de l’économie maritime au niveau régional sont plutôt de bonnes nouvelles. Mais elles ont tendance à renforcer un peu plus la concentration de l’emploi en Haute Bretagne et donc accentuer le déséquilibre naissant ces dernières années entre les territoires.
Au niveau social, les difficultés du secteur agroalimentaire sont venues renforcer une tendance profonde qui voit l’emploi se déplacer inexorablement vers la Haute Bretagne. A tel point que si, dans l’ensemble de la région, l’emploi a légèrement progressé cette année, c’est avant tout sous l’effet de l’Ille-et-Vilaine, si l’on en croit l’Insee, alors que les trois autres départements de la région administrative voyaient au mieux leur nombre d’emplois stagner, au pire diminuer. Une situation identique en Loire-Atlantique, qui se porte dans l’ensemble plutôt mieux que les quatre autres départements bretons.
Bien entendu, le taux de chômage en Bretagne reste en dessous de la moyenne nationale mais il continue malgré tout de progresser, principalement en Basse Bretagne, renforçant l’impression de décrochage de la moitié ouest de la péninsule, déjà largement remarquée depuis deux-trois ans et qui semble encore s’accentuer. Ce sentiment de décrochage est d’ailleurs l’une des causes majeures, bien que minimisée, de l’apparition et du succès des Bonnets Rouges à la fin de l’année 2013.
Des Bonnets Rouges qui n’ont pas réussi à transformer l’essai, malgré l’intérêt qu’ont représenté leurs Etats Généraux et les propositions qui semblaient en découler. Ils auraient pu devenir un mouvement citoyen se réappropriant la politique, à l’image de Podemos en Espagne ou de Cinque Stelle en Italie, le collectif est au final redevenu ce qu’il était à son origine, un mouvement principalement corporatiste qui aura d’ailleurs obtenu l’une des principales victoires bretonnes, positive ou négative selon les points de vue, la fin de l’écotaxe.
Son poids aura en revanche été quasi nul sur la réforme territoriale, pour laquelle d’ailleurs les quelques députés réellement engagés en faveur de la réunification, on pense en particulier à l’UDB Paul Molac, l’EELV François de Rugy et l’UDI Thierry Benoît, rares députés bretons à avoir fait preuve d’une remarquable constance combative sur le sujet durant les débats parlementaires, n’ont pas réussi à peser. Si Marc Le Fur n’est pas cité, malgré un engagement certain sur ce sujet, c’est avant tout par son absence lors des votes des amendements concernant un assouplissement du droit d’option mi-décembre. Mais dans l’ensemble, la cause de l’échec est avant tout à chercher du côté du Parti Socialiste, hégémonique en Bretagne actuellement, qui n’a pas vu, pu ou même voulu, c’est selon, obtenir la réunification.
Si les raisons sont multiples, entre mauvais calculs stratégiques, craintes personnelles, certitude d’être passés près d’une catastrophe plus grande encore (avec une possible fusion dans un Grand Ouest) et autres, le résultat est que l’incongruité née du régime de Vichy et formalisée lors de la création des régions dans les années 60 n’a pas été réparée, au grand dam des défenseurs de la cause et malgré une mobilisation citoyenne sans précédent. Les récentes prises de position de la ministre Marylise Lebranchu pourraient venir compliquer plus encore la difficile tâche du PS dans les prochains mois.
La réunification pourrait d’ailleurs peser lors des prochaines échéances électorales, départementales et régionales, pour lesquelles le PS a énormément à perdre. L’UDI a d’ores et déjà lancé sa campagne sur ce thème, ce qui laisse à penser que ce dernier risque d’être très présent dans les prochains mois, c’est tout du moins clairement le pari du centre-droit. Une vague sur laquelle tentera également de surfer Christian Troadec, fort d’un bon résultat aux européennes et qui espère réaliser un coup, en particulier aux régionales, en profitant encore de l’effet Bonnets Rouges.
Des élections qui pourraient d’ailleurs voir également le Front National faire son entrée dans certaines instances départementales voire à la Région. Un résultat qui serait dans la droite ligne de ceux obtenus en 2014, avec pour la première fois un FN dépassant par endroits les 15%, faisant son entrée dans plusieurs conseils municipaux, systématiquement dans les villes les plus pauvres de Bretagne. Une banalisation qui semble plus lente qu’ailleurs mais néanmoins réelle en Bretagne également, où l’abstention progresse par ailleurs à grands pas, loin de l’exemplarité citoyenne des électeurs bretons jusqu’à présent.
L’année 2015 pourrait être du même acabit. Car si les cours du pétrole devraient permettre une légère accélération de la reprise économique, et aider les agriculteurs à voir leurs charges baisser sensiblement, l’influence sur le marché de l’emploi pourrait être nulle ou presque. Les exemples des Etats-Unis et du Royaume-Uni, malgré les faibles taux de chômage officiels, tendent à prouver que la reprise exclut une part de plus en plus importante de la population du marché du travail, et donc des statistiques, plus qu’elle ne crée réellement des emplois.
Par ailleurs, au-delà des bouleversements politiques que la région pourrait vivre, avec la possibilité d’une véritable gifle infligée au Parti Socialiste dans la quasi totalité des cinq départements mais également à la région, c’est sur le plan de l’organisation des territoires que les changements seront marquants, avec l’apparition officielle des métropoles dès le 1er janvier. Une nouvelle structure qui concernera Nantes, Rennes et Brest et qui pourrait profondément déstabiliser l’organisation du territoire breton en mettant à mal, à moyen terme, son réseau de moyennes villes qui maillent et irriguent l’ensemble de la péninsule.
Mais à la différence de 2014, les espoirs sont nettement plus faibles en ce qui concerne 2015. Après deux années relativement éprouvantes pour la Bretagne, cette dernière aspirera sans doute à un peu de calme pour l’année qui arrive. Une situation qui pourrait être, en définitive, favorable pour que l’année 2015 soit surprenante, positivement cette fois. Et c’est tout ce que l’on peut souhaiter.