Dans un précédent article, nous vous faisions part de la Thèse de doctorat en sociologie soutenue, à Rennes2 au sein du Liris[1], par Jean-Luc Poulain, sous la direction du Professeur Ali Aït Abdelmalek.

Nous avons demandé à ce « jeune docteur » de 71 ans ce qui lui avait fait choisir les E.T.I. comme sujet de recherche.

« Tout d’abord, explique-t-il, il y a peu de sociologues à  travailler, spécifiquement, sur le dirigeant d’entreprise. En matière de « professions », les avocats, enseignants, cadres, agents de maîtrise et ouvriers ont fait l’objet de nombreuses études par les sociologues du travail et des professions. L’entreprise a aussi fait l’objet de travaux par les sociologues de l’Entreprise et des Organisations. Notre choix a, aussi, été déterminé par la décision politique, en 2008, de créer ce type d’entreprises (de 256 à 5 000 salariés) entre les P.M.E. et les grands groupes. Les E.T.I. sont particulièrement développées en Italie, en Angleterre et bien sûr en Allemagne sous le nom de « Mittelstand ». Peut-on envisager, en France, que ces Entreprises de Taille Intermédiaire puissent, dans une conjoncture tendue depuis la crise des subprimes, créer de la richesse et  de l’emploi sur notre territoire ?« 

Et pourquoi, plus particulièrement étudier les E.T.I. familiales ?

« Notre hypothèse était de vérifier si  le fait d’être « familiale » pouvait permettre d’envisager une plus grande pérennité de ce type d’entreprise ? Leurs dirigeants s’inscrivent-ils oins que les grands groupes dans une politique de financiarisation ? Sont-ils plus attachés à la transmission de l’entreprise tout en lui assurant une croissance tant endogène qu’exogène ? Quel  management  est-il appliqué ? Face à la mondialisation, le développement de ce type d’entreprises à l’international peut-il permettre d’enrayer le déficit chronique de notre balance commerciale ? »

Fort de toutes ces questions, Jean-Luc Poulain est allé à la rencontre de dirigeants d’E.T.I. qu’ils soient créateurs, repreneurs ou héritiers. Il a, successivement visité le monde du transport, du bâtiment, de l’agriculture, de l’agro-alimentaire mais aussi de la mode, de la chaussure, de la restauration sans oublier l’électronique, la domotique et la biopharmacie. A chaque fois, il y a rencontré des dirigeants disponibles qui l’ont reçu, dit-il, avec bienveillance et se sont confiés avec un réel esprit d’ouverture. L’un d’entre eux lui a même dit : « Je répondrai à toutes vos questions. La seule à laquelle je ne répondrai pas, c’est celle que vous ne m’aurez pas posée ». Un autre lui a même confié une « innovation » qu’il comptait sortir prochainement en lui demandant de ne pas la divulguer. Il a, bien sûr, respecté cette demande. Au plan théorique, il a convié de nombreux sociologues du travail, de l’organisation et des professions. Il se plaît à citer Norbert Alter : « Travailler dans le champ de l’Entreprise nécessite d’étudier l’ensemble de ces sociologues mais aussi de connaître l’Entreprise et le Sciences de gestion ». Atouts évidents pour ce « jeune sociologue », ancien dirigeant d’entreprise et aussi diplômé de l’IGR-IAE de Rennes…

Pourquoi le territoire de la Bretagne historique ?

« Nous avons considéré l’histoire comme Laboratoire social et ce pour plusieurs raisons.  La Bretagne est une construction territoriale chargée d’histoire. Celle-ci remonte à la Préhistoire. La période néolithique  se caractérise par de nombreux monuments : cairn de Barnenez, table des marchands de Locmariaquer, alignements de Carnac… Au 3ème millénaire, la Bretagne est habitée par des peuples gaulois avant que ces territoires ne soient conquis par Jules César. Lors de cette période gallo-romaine, elle développe un commerce important autour des ports de Vannes, Nantes et Alet. De 939 à 1166, ses frontières suivent les actuelles marches de Bretagne de Fougères à Clisson en passant par Vitré et Châteaubriant. L’autonomie est affirmée par le duc Jean V. En 1491, Anne de Bretagne se marie avec le Roi de France, Charles VIII, puis avec Louis XII en 1599. Les XVIème et XVIIème siècles voient l’âge d’or du commerce maritime. Le littoral va compter jusqu’à 130 ports dont les trois plus importants sont Morlaix, Nantes et Saint-Malo.  Entre 1551 et 1610 les Hôtels de Nantes et Rennes battent monnaie ce qui représente, à eux deux, 35% de l’argent français…

Plus proche de nous, sous la Présidence Mitterrand, le gouvernement avait décidé d’agrandir  les Régions. On pouvait penser que les régions Bretagne et Pays de la Loire formeraient une entité compétitive au plan économique. Pour le moins, on pouvait rêver un regroupement de la Loire-Atlantique avec les quatre autres départements bretons en revenant ainsi à la Bretagne Historique, souhaité par de nombreux élus bretons de droite comme de gauche y compris les  Verts et correspondant au besoin d’appartenance des Bretons. De nombreuses associations adhéraient aussi à cette idée dont bien sûr Bretagne 5/5, le Club des Trente, l’Institut de Locarn, Produit en Bretagne et aussi Bretagne Prospective, présidée par Jean Ollivro.

Tout récemment, le Professeur Champaud, ancien Président de Rennes1, ayant exercé les fonctions de conseiller général et régional, a publié un livre intitulé : « Quand les Bretons éveillèrent la Bretagne ». Dans cet ouvrage, il rappelle ce qu’était le C.E.L.I.B. (Comité d’Etudes et de Liaison des Intérêts Bretons) créé en 1950 par Joseph Martray et René Pleven, sénateur-maire de Dinan. Ce mouvement, écrit-il, est vite devenu une force composée de 2 000 Bretons de toutes origines venant des 5 départements de la Bretagne Historique. Après avoir permis le désenclavement de la Bretagne sur le plan routier et la mise en place de la politique ferroviaire arrivée, aujourd’hui, à son terme, avec la L.G.V., le combat de ce Comité a permis, pendant les 30 Glorieuses, d’assurer le développement économique, social et culturel d’une Province réputée turbulente en se heurtant, avec diplomatie, aux citadelles du jacobinisme. Elu Secrétaire général de cette association, en 1970, ce dernier grand témoin encourage les jeunes générations à retrouver l’esprit célibien à l’image des grands patrons que furent Jean-Pierre Le Roch, Edouard Leclerc, Yves Rocher mais aussi Louis Le Duff, François Pinault, Vincent Bolloré… ».

Et l’international ?

« Mon Pays, c’est le Monde », me confie avec un large sourire le dirigeant d’une entreprise de 2 000 salariés. Celui-ci réalise, en effet, 75% de son chiffre d’affaires à l’international. Un autre 35%, un troisième fait état d’une implantation dans 70 pays. L’ensemble de ces témoignages montre que « l’idée de globalisation ou de mondialisation n’est plus contestée », comme l’écrit le sociologue François Dupuy ».

Pour conclure, dit Jean-Luc Poulain, « j’aimerais citer le sociologue et philosophe Edgar Morin qui écrit dans « Penser global » : « L’économie, dite de marché, disons l’économie capitaliste, va désormais recouvrir pratiquement tout le globe, y compris la Chine. Au cours des années 1990, se développent l’unité économique du monde et, en même temps, l’essor des télécommunications, l’essor techno-économique qu’on peut appeler mondialisation ».

[1] Liris : Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche en Innovations Sociétales.