L’enjeu de la cohésion territoriale est souvent présenté sous l’angle d’un simple découpage. Par exemple, Bretagne à quatre, à cinq, fusion avec la région des Pays de la Loire, constitution d’un « grand » Ouest…

C’est oublier la question des compétences et surtout l’enjeu du projet de société. S’agissant des compétences, comme le démontrent Jean-Jacques Urvoas ou Daniel Cueff dans leurs livres récents, la libération des forces régionales et l’expérimentation d’une assemblée de Bretagne permettraientdes politiques adaptées aux spécificités régionales (économie de la mer, agroalimentaire, TIC, logistique…).

Le débat du projet de société est encore plus essentiel. Une thèse, soutenue par cinq élus de Rennes, Brest, Nantes et Saint-Nazaire, promeut une fusion Bretagne-Pays de la Loire et l’affirmation de métropoles censées être les « locomotives » du développement. L’autre thèse table sur la promotion des identités en construisant dans l’ouest de la France des régions claires et lisibles (la Bretagne, la Normandie, le Val de Loire…). Elle affiche l’idée d’un projet collectif associant les métropoles aux villes moyennes sans oublier les enjeux agricoles et ruraux. Pour dynamiser toute  la Normandie, Rouen, Le Havre et Caen marieraient leurs compétences. Dans une Bretagne réunifiée, trois villes complémentaires animeraient et encadreraient un terrain de jeu fabuleux pour renouer avec l’économie productive (énergie notamment).

Ces deux projets sont  antinomiques. Dans un cas, on envisage une dilution de l’identité et la promotion unique d’un territoire à partir de quelques « points » territoriaux censés incarner l’avenir et captant l’essentiel des investissements. Dans l’autre, on privilégie une approche partenariale pour créer des richesses car une société qui ne produit pas de biens tangibles n’a aucun avenir économique.

Dans ce cadre, les dernières statistiques sur l’évolution de l’emploi sont éclairantes. Si le pays de Rennes a, sur la période 2009-2013, créé effectivement des emplois « high-tech », il a globalement perdu plus de 1 000 emplois en 4 ans. A l’inverse,  le pays de Vitré a sur cette même période créé 1 050 emplois, celui de Brocéliande 880 emplois et Loudéac 639 emplois. Où seront les dynamiques de demain ? A une époque où l’on assiste à une disparition accélérée des emplois tertiaires court-circuités par Internet (la fermeture de multiples commerces, des librairies, la suppression en Bretagne de 1 700 emplois en 4 ans pour les seules agences immobilières…), les villes seront-elles les moteurs économiques de demain ? Rien n’est moins sûr. Il faut sans doute se préparer à une économie de la précarité et dans ce cadre les territoires ruraux révèlent l’économie productive, peut-être moins tendance que les « métropoles ». Elles individualisent toutefois des acteurs créant concrètement des richesses.

Métropoles ou territoires ? Bretagne, Normandie, Val de Loire… ou un « grand » ouest  ne jurant que par des métropoles fragiles ? A chacun de faire un choix décisif pour promouvoir le territoire opportun de demain. Pour la Bretagne, la question a priori anecdotique d’un « découpage » ou d’une Bretagne à cinq est en réalité l’enjeu majeur du devenir de nos sociétés.

 

Jean Ollivro, Professeur à l’université de Haute Bretagne (Rennes 2)