Qui ne connaît pas la fable de la grenouille et du bœuf ? Une fable qui visait avant tout à faire comprendre que chacun devrait accepter à la place qui était la sienne bien entendu, une manière de considérer que l’ascension sociale est une chimère. Mais elle peut avoir une autre grille de lecture, en considérant qu’à vouloir se développer trop vite, on oublie parfois ce que l’on est et surtout d’où l’on vient au risque de ne pas pouvoir tenir.

La grenouille, cela pourrait être la ville de Rennes. Pardon, Rennes Métropole, puisque dorénavant la capitale bretonne a statut de métropole, tout comme Nantes et Brest. Une belle promotion pour cette petite ville qui se rêve place forte européenne. Cela peut choquer mais oui, Rennes est bien une petite ville, à la dimension du continent. Avec ses 206.000 habitants intramuros, elle peut difficilement boxer dans la même catégorie que Munich, Manchester, Valence ou Naples, pour ne même pas parler de la catégorie encore au-dessus. Mais elle y aspire.
En soi, il est difficile de reprocher à des élus d’avoir de l’ambition pour leur territoire. C’est cette ambition qui a fait de Rennes la plus petite ville au monde à posséder son métro, comme le rappelait fort justement Michel Urvoy dans un éditorial chez nos confrères de Ouest-France. Un métro qui a joué un rôle dans le développement récent de la ville en terme démographique et par la même occasion dans son expansion économique.
Rennes attire, c’est certain, la ville est dynamique, agréable, la vie culturelle y est plutôt riche, même si elle a été depuis largement dépassée par ce qui se passe à Nantes, elle reste à taille humaine et propose une variété d’emplois, en particulier des emplois qualifiés, qui manquent bien souvent si cruellement en Bretagne, ce qui pousse nombre de diplômés à quitter la région.

Et Rennes est une ville jeune. D’ailleurs, de ça également elle ne cesse de s’enorgueillir. A raison là encore puisque les classements réguliers la placent le plus souvent sur le podium des villes les plus jeunes de France. La présence des universités et des grandes écoles y est bien entendu pour beaucoup et la ville n’hésite pas à l’utiliser comme vecteur de communication.
Pour autant, même s’il serait faux de prétendre que rien n’est fait pour la jeunesse à Rennes, les récents choix de la municipalité tendent à prouver que satisfaire cette population, qui représente plus du tiers de ses habitants, n’est pas toujours sa priorité. La volonté de fermer un certain nombre de bars de la rue Saint-Michel et plus largement de mettre sous couvercle la vie nocturne de la ville, qui a pourtant également fait sa réputation, mais gênante pour les autres habitants, en est une illustration.
Et si finalement Rennes ne tient pas tant compte que ça de cette population là, ce n’est pas non plus sans raison: ils ne votent, pour la plupart, pas sur place. Car ces jeunes «Rennais» sont en réalité, pour leur immense majorité, des jeunes Bretons, Costarmoricains ou Morbihannais pour beaucoup, «Bretilliens» pour un certain nombre, parfois Mayennais mais déjà moins nombreux. Ils sont à Rennes le temps de leurs études et rentrent chez eux le week-end et durant les vacances, laissant la ville retomber dans une sorte de torpeur lorsqu’ils partent.
En définitive, ils ne sont pas Rennais, ils sont Bretons. Et ils montent à la métropole, «à la capitale», pour poursuivre leurs études, une fois le bac en poche. Ils symbolisent ce qu’est Rennes: le gros poisson de la mare bretonne, qui se nourrit des autres pour grandir. Mais qui, s’il se retrouve dans l’océan, ne devient plus qu’un petit poisson incapable de lutter face aux mastodontes présents face à lui.
Car Rennes, sans la Bretagne, ne serait au final pas grand chose. C’est la Bretagne qui lui permet d’avoir une population jeune et dynamique. C’est la Bretagne qui lui donne son identité et lui permet d’exister sur la scène nationale et européenne. C’est encore la Bretagne qui lui permet de se développer économiquement, en lui offrant le réseau nécessaire de villes lui permettant de compenser relativement son isolement.
Cet isolement, les élus rennais ont tendance à le sous-estimer, il est pourtant réel. Dans la mesure où Rennes n’a pas plus de pouvoir d’attraction que Nantes, Caen ou Angers, des villes à son niveau, relativement proches et qui sont donc ses concurrentes directes. Des villes qui possèdent autant d’atouts que Rennes, parfois plus et qui se retrouvent donc à tenter de drainer eux aussi les flux du «Grand Ouest» pour assurer leur développement.
Ce «Grand Ouest» que Rennes Métropole espère tant, et avec elle le département d’Ille-et-Vilaine, comme l’a fort justement rappelé un texte assez inimaginable concernant les identités «bretiliennes» publié sur le site du Conseil général, est pourtant ce qui pourrait le mieux venir contrecarrer le développement de la ville. Tant Rennes attire peu une fois la Mayenne passée. Et sa sphère d’influence ne viendra pas grandir dans un tel ensemble, au contraire.
Lorsque Rennes tente de faire oublier qu’elle est bretonne, cela revient à considérer qu’Apple lance un nouveau smartphone sans sa marque mais plus cher. C’est commercialement stupide, tant la marque est ce qui permet à Apple aujourd’hui d’attirer sa clientèle. Il en va de même pour Rennes et de ses racines bretonnes. Sans elles, Rennes n’est plus qu’une ville moyenne de l’Hexagone comme il y en a des dizaines d’autres, sans rien qui lui permette de se distinguer. Et surtout, sans cette plus-value dans l’image que lui apporte la Bretagne à l’international. Lorsque l’on est ambitieux, cela revient à tenter un 100 mètres avec un boulet aux pieds, c’est illogique, même lorsque l’on est Usain Bolt.
Rennes se rêve européenne mais pour l’heure elle n’est même pas nationale. La capitale bretonne n’est pas Marseille, Lyon, Nice, Lille, Bordeaux ou Toulouse en terme de notoriété. Elle n’est même pas Strasbourg ou Nantes, sa voisine. En terme de rayonnement, Rennes a bien du mal à exister pour l’heure et cela se voit en particulier au niveau touristique. Même au niveau breton, Rennes n’est pas le lieu où le flot des touristes s’arrête. En définitive, Rennes suscite encore peu d’intérêt, malgré des atouts indéniables.
En fait, quand on y pense, Rennes est finalement très bretonne. Comme l’élevage de sa région d’origine, elle se rêve hors sol, sans racine ni base sur laquelle s’élever. Mais précisément, elle pourrait suivre également le même chemin et finir par se perdre. Se développer avant de s’effondrer en ayant oublié d’où elle partait. Ce serait alors la morale de cette fable que se racontent les élus de sa ville : à trop vouloir oublier ce que l’on est, on finit par ne plus être grand chose.

Ar c’hannad, site d’informations bretonnes et internationales – février 2015